En décidant de permettre au patient d’arriver au bloc opératoire en marchant, plusieurs établissements hospitaliers ont redéfini la place du patient dans le lieu de soin. Une révolution.
Nous avons tous l’image d’Epinal en tête. Celle d’un patient conduit au bloc allongé sur un brancard. C’est pourtant cette habitude si profondément ancrée dans les pratiques que certains hôpitaux nord-américains ont choisi, il y a quelques années, de revisiter en remettant le patient sur ses pieds.
Il y a cinq ans, l’institut de cancérologie Paoli-Calmettes (Marseille) a importé l’idée ; depuis, d’autres hôpitaux ont suivi le mouvement. Désormais, la majeure partie de leurs patients arrive au bloc en marchant. De quoi améliorer leur dignité et leur autonomie.
Côté soignants, la transition n’a pas été neutre : elle a bouleversé les habitudes et redéfinit la logistique du bloc et des services de soins.
De la dignité du patient…
« Etre sur un brancard réduit l’autonomie, explique l’anesthésiste Daniel Francon qui a porté le projet dans le centre marseillais. Sans compter qu’ils y perdent une part de leur dignité : ils portent des tenues fendues et se font retirer leurs prothèses au moment de s’installer sur le brancard. Désormais, les patients portent des tenues dignes similaires à celle des soignants et peuvent conserver leurs perruques, leurs lunettes ou leurs prothèses auditives jusque dans la salle d’opération ».
Le déroulement est simple : le brancardier va chercher le patient dans son service, puis marche avec lui jusqu’au salon d’attente du service de chirurgie. « On se tient d’égal à égal, reconnaît Loïc do Carmo, brancardier dans le centre lillois Oscar Lambret qui s’est lancé dans la démarche au printemps 2014. Nous prenons le temps d’accompagner. Sur le chemin du bloc, ils nous confient plus facilement s’ils sont stressés ».
Corentin Cozigou, infirmier dans le service de chirurgie ambulatoire de l’Institut Mutualiste Montsouris (IMM, Paris) qui a passé le cap, il y a un an, assure : « si certains patients se montrent surpris, ils disent que c’est beaucoup plus agréable, qu’ils ont moins l’impression d’être malades. Et de notre côté, nous avons le sentiment d’un rapport plus humain et plus adulte».
Arrivé au salon d’attente, le brancardier passe le relais à un aide-soignant après lui avoir transmis toutes les informations utiles. Vient ensuite le temps de l’infirmière de bloc ou de l’infirmière anesthésiste. A Marseille, il n’est pas rare que ce soit le chirurgien qui vienne directement chercher le patient pour l’accompagner à la salle d’intervention.
« Le côtoyer en percevant sa corpulence, sa taille nous donne une autre perception et impose un autre relationnel » explique Anne Nicolsky, infirmière anesthésiste à l’IMM. « Les patients se montrent curieux et posent souvent des questions sur ce qui les entoure » raconte Corinne Cea, cadre de santé IBODE au centre marseillais. En un mot, chacun met de côté le statut de malade, jusqu’à l’arrivée en bloc.
Là, ils s’installent sur la table d’opération et leurs éventuelles prothèses sont retirées. Le déroulement traditionnel de l’intervention peut alors reprendre.
…à la logistique intrahospitalière
« L’enquête de satisfaction conduite pendant les deux premières années a montré que les patients étaient tous très largement satisfaits » poursuit-elle. Les soignants, eux, « ont vite vu que le bénéfice était réel pour les patients mais aussi pour eux ».
Mais il n’en n’a pas toujours été ainsi. Médicaux et paramédicaux ont émis des réticences ou des craintes qu’il a fallu lever une à une. « Il y a d’abord un saut générationnel et culturel pour quelques médecins», explique l’anesthésiste lilloise Daniele Lefebvre-Kuntz.
Il y a aussi la réticence habituelle face au changement d’habitudes : dans ces trois centres, le projet a été porté par un groupe de travail pluridisciplinaire qui a pu travailler et résoudre ces questions.
Deux points d’achoppement ont notamment dû être réglés : d’abord celui de la prémédication anxiolytique, incompatible avec Patient Debout. L’anesthésiste Olivier Untereiner de l’IMM raconte : « des données récentes de la littérature montrent que cette prémédication n’est pas efficace et complique le réveil, mais les infirmières avaient de fortes réticences, car à leurs yeux, elle était indispensable au patient pour gérer sonstress. Il a fallu convaincre pour modifier les pratiques et les protocoles ».
Idem pour les perfusions : « nous avions l’habitude de placer une perfusion préopératoire, explique Guylaine Rossel, cadre de chirurgie ambulatoire à l’IMM. Désormais, nous ne mettons en place que le Cathlon® pour faciliter la mobilité ».
La poche, elle, est posée au bloc. « Cela va dans le sens d’une simplification des pratiques des services de soins, insiste Corinne Cea. Plus besoin de synchroniser la prémédication avec l’heure de l’opération, ni de surveiller le patient dans le délai ».
Certes, « il y a des changements de dernière minute sur la façon dont le patient arrive qui compliquent notre travail » relate Monique Casier, IBODE lilloise. Et « certains infirmiers n’ont toujours pas intégré cette évolution et ne veulent pas aller chercher le patient au salon » reconnaît Anne Nicolsky.
Une évolution actée
Un salon apaisant pour accueillir les personnes, une occlusion suffisante des fenêtres de bloc pour leur éviter de voir ce qui s’y déroule, une organisation permettant d’éviter aussi qu’ils ne croisent un sujet sortant d’opération, une traçabilité des affaires personnelles…
Moyennant ces quelques ajustements, la démarche Patient Debout améliore le flux des patients : « L’information Debout ou En brancard est intégrée dans notre logiciel de suivi du patient dans le parcours opératoire, explique Florence Bochu, cadre IBODE à Oscar Lambret. Nous gérons ainsi mieux l’organisation des flux et notamment le ballet entre brancard et table d’opération ».
En pratique, le choix est toujours laissé au patient, lors de la consultation d’anesthésie. Mais ceux qui préfèrent venir allongés se comptent sur les doigts d’une main et les profils inéligibles (problème de mobilité, patients très douloureux…) sont peu fréquents.
Pour eux, les structures réfléchissent à une solution ou ont d’ores et déjà opté pour le fauteuil, solution intermédiaire, et transposable à la sortie de salle de réveil, dans le but d’une meilleure réhabilitation.
Ce nouveau fonctionnement semble si naturel désormais que de l’aveu des chefs de projets, personne n’imagine un retour en arrière. La transition est globalement réussie et de plus en plus d’établissements se saisissent du projet. Il n’est pas si fréquent de voir un projet neutre en termes financiers, si ce n’est le coût des tenues, se révéler si bénéfique pour les patients !
Caroline Guignot
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