Source : journal Le spécialiste écrit par Giovanni Briganti
L’Université d’Oxford organise chaque année un Colloquium of Medical Education. Ce colloque est destiné à tout professionnel médical, étudiant en médecine ou académique intéressé aux problèmes de la formation des médecins. J’y ai participé en tant que président du CIUM, pour me mettre à jour quant aux défis que la 1ère Université du Shangai Ranking perçoit au niveau des études de médecine, et pouvoir intervenir sur l’une ou l’autre question.
L’édition 2018 a eu lieu ce 26 septembre.
Un intervenant en particulier a été mis à l’honneur, le Professeur Roger Kneebone (Imperial College London).
Ce professeur a un profil atypique : il a été professeur de chirurgie pendant de nombreuses années mais a ensuite décidé de se reconvertir à la médecine générale et focaliser sa recherche sur l’apprentissage des techniques chirurgicales aux médecins en formation. Il cherche et applique souvent des parallélismes avec d’autres métiers manuels (menuisiers, couturières) au niveau des techniques et apprentissage des gestes.
Un concept abordé par le Prof Kneebone m’a particulièrement interpellé.
Il avançait qu’une technique de base de l’apprentissage de la clinique médicale a été abandonnée ces 20 dernières années à cause de la révolution technologique, l’informatisation de la pratique et l’augmentation exponentielle des connaissances médicales : « doing time » (faire son temps).
Faisant référence à l’expression utilisée par les anglophones pour indiquer une période passée en prison, le « doing time » est l’apprentissage des processus cliniques par la répétition d’actes « ennuyants ».
Le prof. Kneebone illustrait son concept avec son expérience comme étudiant en médecine, pendant les années 70, lorsqu’il a fait des prises de sang pendant une semaine. Reconnaissant que la prise de sang peut en principe ne pas être un acte performé par un médecin (surtout au niveau du NHS), il a reconnu que faire des prises de sang 8h par jour pendant 1 semaine lui a permis d’apprendre à accueillir les patients (des étrangers à priori) et à leur parler de façon empathique : l’acte de la prise de sang, comme beaucoup d’autres en médecine, sont des actes qui causent une certaine douleur ; le contact avec le patient permet d’instaurer un lien de confiance nécessaire à la performance de cet acte, et permet à l’étudiant de développer ses compétences non cognitives (soft skills, dont le processus décisionnel et l’empathie).
Suite à ce discours, je me suis questionné sur l’apprentissage au cours des 6 ans de médecine : en discutant avec énormément d’étudiants, je me rends compte que le « doing time » en présence des patients a été fortement diminué, et remplacé par énormément d’actes administratifs. L’étudiant en médecine francophone connait bien les différentes maladies et les différents services des hôpitaux lui font confiance sur plusieurs processus différents lors des patients de routine (anamnèse et examen clinique primaire du patient, écriture primaire du dossier d’entrant, suivi post-opératoire).
« Je me demande en effet, au vu de l’accroissement progressif de la difficulté des examens (secondaire à l’accroissement des connaissances) si, ces 15 dernières années, les étudiants en médecine ont eu une moindre chance de « faire leur temps » avec les patients. »
Cette réflexion est d’autant plus actuelle suite à l’effet sélection de l’examen d’entrée : plusieurs études montrent qu’une sélection à l’entrée favorise les profils « ingénieur » (avec une moindre présence des compétences non cognitives).
« Faire son temps » est plus que nécessaire à une époque où l’intelligence artificielle s’introduit dans la pratique clinique.
Nous allons avoir besoin davantage de médecins avec des compétences non cognitives très développées et redécouvrir la plus-value d’être médecin.
Giovanni Briganti
Journal le spécialiste : l’article